« Ce jour-là », la légende dorée du Navy Seal

L’adaptation « Du Sang et des Larmes » de Marcus Luttrell invite aux interrogations sur le profil du commando américain. Le livre de Mark Owen « Ce jour-là » (No easy day) s'inscrit dans cette veine. Il décrit l’opération « Neptune Spear »(Trident de Neptune) menée dans la nuit du 1er au 2 mai 2011 contre Ben Laden, le chef d’Al-Qaida. En 2012, le film « Zero Dark Thirty » met en valeur la CIA commanditaire de l'opération. Conjointement, le héros Mark Owen publie sa version des faits, de la préparation à l'assaut final. Hasard du calendrier des sorties cinématographiques et de l'engouement suscité par les récits individuels dans l'édition, le commando y décrit également sa participation au sauvetage du fameux Capitaine Philips en 2009. Deux épisodes singuliers dans cette autobiographie du Navy SEAL qui suscitent des interrogations sur sa personnalité : brute de guerre réelle ou personnage de fiction ?



© NRA Line of Duty / Alamy / Shutterstock
«Ce jour-là- Au Coeur du commando qui a tué Ben Laden», Mark Owen, Kévin Maurer, éditions Points, 320 pages, 7,20 €

« Mark Owen » est bien évidemment un pseudo. Il s'en explique au début de son livre présenté comme un ouvrage écrit à quatre mains avec le reporter Kevin Maurer, spécialiste des opérations des forces spéciales américaines. L’auteur n’a rien à voir avec le chanteur de rock du même nom. Il n’a pas souhaité dévoiler son identité, ni celle de ses acolytes, encore moins toute la gamme de ses techniques professionnelles. D’ailleurs, pas plus que le président Obama vous ne saurez qui a tiré sur « The Pacer » (« celui qui fait les cent pas », ainsi nommé en référence à sa promenade quotidienne filmée par satellite et drone). L'auteur unique ne serait-il pas le journaliste Kevin Maurer ? Est-il possible qu'il ait pu créer un personnage apocryphe - Mark Owen - en compilant les caractéristiques des différents commandos ayant participé à l'opération ?

Mark Owen revient abondamment sur son parcours au sein des forces spéciales de la Marine (Navy SEAL), son entrainement pour appartenir, avec d’autres élites des différentes armées, aux unités spéciales de lutte contre le terrorisme, coordonnées par le « Joint Special Operations Command » (JSOC) et sa sélection à l’« United States Naval Special Warfare Development Group SEAL Team Six » (ou DEVGRU), 7 ans avant cette mission à Abbottabad au Pakistan.
Il évoque aussi son enfance en Alaska, son engouement pour la chasse à l'ours, les armes et la vie au grand air. En somme…« Mens sana in corpore sano » (Un esprit sain dans un corps sain). Pourtant, la sélection du commando ne relèverait pas d'une prédestination fantasque. Mark Owen justifie son recrutement par ses nécessaires adaptations à des éléments plus contraignants : l’impondérable, l’autonomie de décision et l’entraînement. Le récit n'a rien à envier aux scénarios de « Star Wars » de George Lucas : figure presque mythique du petit garçon récupéré au fin fond d'un territoire rustique qui devient un grand guerrier Jedï à force de patience et de répétition des gestes qui sauvent...

Le lecteur constatera également l’importance que revêt la qualité et l’utilisation du matériel pour le sous-officier dans la réussite de sa mission. À travers les nombreuses descriptions relatives aux préparations de son équipement, le commando orchestre chaque étape de sa mission et en analyse les faiblesses potentielles. Certes, le matériel ne permet pas toujours de réaliser des prodiges… à considérer l'accident d'hélicoptère Black Hawk - Chalk One - survenu lors de l'opération contre Ben Laden.

Or, ce récit tente de rompre avec les clichés habituellement utilisés jusqu'à la fin des années 90 pour valoriser le commando. Il tente de lui offrir un visage plus humain et intellectuel. Ici, le guerrier cerne les dichotomies entre ses missions hors-normes et le conformisme de sa vie privée. Comme au cinéma, le « commando nouveau » arrive aussi dans la littérature du genre. Le lecteur pourrait s’attendre à une exacerbation des vertus du soldat américain. Tout comme le remarquait Stéphane Dugast dans sa critique « Du Sang et des Larmes », le patriotisme reste feutré. Il devient un objectif de mission. Il s’agit juste de « respecter les valeurs du pays que l’on sert ». Mark Owen n'hésite pas à égratigner au passage la récupération politique de la mort du chef d'Al-Qaida ,(alias « Géronimo »). D'ailleurs pour le commando, l'assaut final était perfectible…
Avec humilité, l'auteur démonte les rumeurs nées de la médiatisation de l’opération, voir dément la version officielle. « Jusqu’à aujourd’hui, les récits que l’on fait de l’opération qui a tué Ben Laden sont faux. Même les rapports qui prétendent s’appuyer sur des informations venant des protagonistes sont incorrects ». Alors, info ou intox ? Ce récit ne serait-il pas une pure commande pour entretenir l'image du JSOC et du DEVGRU ?

On apprend ainsi que Ben Laden n’a pas tenté de résister et n’est pas mort les armes à la main dans sa chambre : « Pendant des dizaines d’années, il a exigé de ses partisans qu’ils endossent des vestes bourrées d’explosifs ou qu’ils jettent des avions sur des gratte-ciel, mais lui n’avait même pas pris son arme. (…) Les chefs sont ceux qui ont le moins envie de se battre ». Impossible pour le lecteur de douter du témoignage d'un commando …

Quant à imaginer que les Navy Seal ont un profil plus lissés ou urbains, "chasser le naturel, il revient au galop" : « Nous avons l'habitude des cadavres. Cette horreur est notre quotidien et nous arrêtons d'y penser quand c'est terminé ». Outre ses missions en Irak et la dernière qui a aboutit à la mort de Ben Laden, les méthodes d'action que Mark Owen qualifie d'actions commandos « discrètes ou surprises » aboutissent à des objectifs sans alternatives pour les ennemis définis. Il les justifie par l'expertise de la situation dans les missions en Irak, Afghanistan et aussi lors de l’affaire du Maersk Alabama de 2009. Craignant pour la sécurité du commandant Phillips détenu par les Somaliens à bord du canot de sauvetage, les commandos-snipers ont évalué les risques de tirer dans un endroit confiné et n’ont pas hésité à éliminer les trois pirates. « L’opération “Capitaine Phillips” avait révélé de quoi nous étions capables. Washington savait désormais qu’ils pouvaient nous appeler pour les missions délicates »… CQFD, la gestion des personnes capturables parait plus aisée lorsqu'elles sont neutralisées.

En définitive, si le lecteur de « Ce jour-là » croit en l'adage « la fin justifie les moyens », il pardonnera le profil du commando américain qui reste, malgré les apparences et la dimension d'un événement historique, celui d'un chasseur grossier capable de prendre un « sac mortuaire par les pieds, le tirer du camion, le faire rebondir sur le sol en béton comme un poisson mort ». L'avant-dernier chapitre relatif à cette arrivée de la dépouille en Afghanistan apparaîtra cru pour les âmes sensibles. On peut légitimement s'interroger sur les effets recherchés d'une telle description. 

Lorsque la réalité dépasse la fiction...




© DR - Points Seuil
Des infographies qui rendent le récit didactique en revenant par étapes sur les 45 minutes de l'assaut.


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