Immersion au Mirail, embarquements en Haute-Garonne

« Tu as arrêté ton activité de journaliste ? On ne voit plus rien sur ton blog depuis le mois de mai »… Ainsi interrogée à l'automne 2013, je me suis longuement demandée si un billet évoquant mon activité professionnelle du moment suffirait à justifier une absence de visibilité sur le web. J'ai jugé peut-être trop vite qu'il serait déplacé ou mal interprété de m’étendre sur un sujet éloigné de la ligne éditoriale habituelle. Rattrapée par une actualité qui ne laisse personne indemne et des campagnes de recrutement au calendrier concomitant pour le ministère de l'Education nationale et celui de la Défense, je souhaite apporter un témoignage. Mon « Printemps 2013 », c'est l'histoire d'un remplacement au pied levé dans un collège du Mirail à Toulouse. Une immersion dans un abysse médiatisé qui ouvrait d’autres horizons…



© DR 
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Une « expérience de traverse », pour les uns, une « Opex », pour les autres, qui a — soit dit au passage — le bon goût de tordre le cou aux idées reçues sur le corporatisme qui semblent traditionnellement opposer les milieux du journalisme, de l’enseignement et du militaire.  
Pour des raisons familiales, je suis régulièrement passée de l’une de ces professions à une autre. Un constat : ces trois métiers impliquent et développent des qualités d’adaptation et de curiosité. Est-ce un héritage de ma formation de militaire ou un trait de caractère inné ? Chacun sa réponse en fonction de ses convictions... 
Assimiler ces vertus à de l’altruisme semble un raccourci facile. Ces dernières imposent un effort tout aussi conséquent : agir rapidement et efficacement dans un environnement différent, se prouver qu'on peut être utile, qu'on sert à quelque chose. Au-delà d’une motivation financière (un SMIC !) et des nocturnes à préparer des supports de cours, dix-huit ans après une admissibilité au CAPES, un 3e cycle de journalisme, un service national, un contrat d'officier presse, une création d'EUIRL et un retour au consulting, c’est pour cet exercice que j’ai accepté cette proposition de remplacement. Quand la réalité dépasse la fiction : « Esprit rebelle » (1995), remake de « Graines de violence »… J’y étais !

Situation d’urgence au collège de la Reynerie en ce mois de mai 2013 ? « C’était chaud » certes... mais pas dans le sens d'un mythe entretenu par les faits divers. 
Les échauffourées du quartier à l’encontre des pompiers et du SAMU trois mois plus tard pourraient pourtant me contredire.
Ce groupe scolaire venait d'être pudiquement rebaptisé depuis la Rentrée scolaire du nom du Résistant et premier maire de Toulouse après la Libération : « Raymond BADIOU ». Un mandat qu'il abandonna après avoir posé la question « de savoir dans quelles conditions l'indépendance de l'Algérie se ferait, avec la France ou contre elle ? ». 
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Ironie de l'histoire, la présence des panneaux d’indication « établissements scolaires de la Reynerie » laissait alors planer les vestiges d’une réputation à abattre. Un élément de langage sans doute mal maîtrisé entre partenaires locaux... Abandonnez l'expérience de quelques années en communication et celle-ci revient au galop ! 
La sémantique de classification renforçait également ce sentiment de situation de crise : collège « éclair » et non plus « ZEP ». Tout était question de sens. 
Pour cet embarquement en « Terre inconnue », « mieux valait venir en voiture personnelle, plutôt qu’en transports publics », a priori si vous étiez une femme. 
Vous respectiez ainsi le protocole de sécurité susurré par le Principal. 
... Une anticipation psychologique comme une autre pour la suite de l’embarquement ! L’idée d’être agressée par un autochtone à l’ouverture des grilles du parking du personnel couvait ? Point de paranoïa. L’infrastructure plongeante et imposante des barres H.L.M affublées de paraboles aurait oppressé le plus motivé des livreurs de pizza. J’avoue avoir comparé le panorama local aux images de l’aéroport de Sarajevo dans les années 93-94 (la Syrie n'étant alors pas encore suffisamment médiatisée !).
« L’objectif premier de mener des élèves de 3e jusqu’au BEPC » assigné par le chef d’établissement, ne s’avérait pas une sinécure, à constater ce troisième trimestre déjà bien entamé. Il était vrai aussi que le Rectorat de Toulouse n’avait pas beaucoup de candidats pour vivre l’Aventure…
La situation d'« urgence » ouvrit la place à la « solidarité » d'une équipe pédagogique... En témoigna l’empressement de mes collègues enseignants à m’accueillir en salle des professeurs, du premier jour jusqu'aux corrections du Brevet des Collèges. 
Je rends ici hommage à leur simplicité, leurs conseils avisés et leur fidélité touchante marquée par l’envoi d'une petite carte de remerciements au court de l’été pour services rendus… Ils m’ont épaulée régulièrement tout au long de ce remplacement. Une fraternité que j’avais presque oubliée en travaillant dans les états-majors parisiens ! 

« Vous verrez, les élèves sont attachants » m’avait dit le principal. Ce dernier ne m’avait pas trompée. Perception des trombinoscopes. Verdict : aucun enfant au profil caucasien dans mes classes de 6e, 5e, 4e et 3e. La diversité était là un mythe inversé : aucun Gaulois. Vous en déduisez donc, sans surprise, que la mémorisation des prénoms et noms de famille s’avéra tout aussi fastidieuse que leur prononciation lors des premiers appels... Pour le plus grand plaisir des potaches ; c'était de bonne guerre !!!
J'ai donc « re-la-ti-vi-sé » en me disant que la marine marchande travaillait avec des équipages aux multiples nationalités. Que de toute façon, il fallait « faire avec » ! Que les cas difficiles seraient les plus faciles à retenir…
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Mon appréhension fut alors d’ordre culturel : serai-je capable de curiosité à leur égard ? … de les comprendre ? … de bousculer mes a priori ? Allais-je revivre le numéro d'Adjani dans « la journée de la jupe ? » ou me ranger de manière irrationnelle « au syndrome de Stockholm ? », serai-je capable d’apprendre aussi ?  Des interrogations toutes personnelles, préalables impératifs avant toute ambition de transmission, mais aussi l'appréhension légitime avant d'assumer de nouvelles fonctions. 
Historienne et géographe de formation, je me suis contentée d'aborder les réponses en ethnologue. Souvenirs de Vanikoro, nombre d’explorateurs n’étaient-ils pas marins ?

« Discipline » un concept appliqué dès le premier jour pour marquer mon territoire en tant que capitaine du navire. « L’Honneur et la Valeur » suivraient peut-être ? 
« Tu ne tenteras point pour ne pas susciter l’envie et le vol » (maxime largement éprouvée au sein des armées) n’a jamais mieux trouvé son sens dans l’enceinte de ce collège… et plus particulièrement sur mon bureau. 
« Bidel », je fus, pendant les cours, pour les empêcher de jeter leurs effets ou celles de leur binôme par-dessus le bord (et ! oui ! Les fenêtres à l’étage n'étaient pas toujours fermées en Midi-Pyrénées !). De même, tenue règlementaire imposée – à savoir : juste ôter son blouson — ainsi que les corvées de nettoyage avant de quitter la classe. J’ai souvent songé « Aux révoltés du Bounty » en espérant être à la hauteur de ces moussaillons. 
Mon « Tenez-vous normalement » fut la goutte d’eau qui fit déborder leur océan.
« Mais, Madame, vous n’êtes pas dans un collège normal ici ! » J’ai saisi l’hameçon :
« Çà tombe bien, je ne suis pas une “prof” normale. J’ai un autre métier. Je suis venue spécialement pour vous, pour vous aider à tracer vos routes. … pour faire en sorte que vous ne vous preniez plus pour des victimes. » (Sic !)
… Effet de surprise garantie sur la question de la normalité.

Au large passaient les baleines des programmes scolaires et près des rochers les sirènes de l’instruction civique qui restaient tapies en attendant l’approche des capitaines hésitants. Les thématiques à aborder (sans harpon !!!) m’offrirent alors de formidables tremplins pour les approcher, les cerner et les apprécier. 
Je fus agréablement surprise de constater leurs connaissances lors d’études sur les religions, leur intérêt pour les métiers d’arts à l’époque moderne et les notions de mondialisation. Prosélytisme marin, les occasions furent nombreuses de leur évoquer la mer et son environnement… jusqu’aux bateaux gris.
Déçue, je le fus aussi de sentir leur défiance sur les notions de droit, de citoyenneté française. Sur le sujet, leurs interventions spontanées et atermoiements révélaient une double culture mal maîtrisée. Difficile ce rejet de l’ordre établi. 
L’affaire Méhra les avait troublés. Ils l’évoquaient spontanément lorsque j’abordais le thème des institutions de l’État. Il y avait encore beaucoup de confusions dans leurs esprits entre le bien-fondé des décisions prises par les représentants de l’État et celles du terroriste. Double discours dans les foyers de ces ados ? Difficile de savoir et d’en conclure à des généralités. 

Ces adolescents m’ont fait prendre conscience de réalités professionnelles et sociales. Et je les en remercie… Nonobstant qu’ils soient confrontés à des préoccupations de leur âge dans une société en perte de repères, ils vivent leurs difficultés de manière exacerbée. Impulsivité, violences verbales et physiques, incivilités restent les maîtres mots de leur quotidien dont le corps enseignant et les professionnels de différents services publics sont devenus les catalyseurs… 

Malgré ces constats, à l’instar de mes missions de consultante en communication éditoriale et numérique, j’ai appliqué ma petite recette : la mise en place d’une dynamique de projets. Bilan gagné ici. 
Mon parcours professionnel m’a confortée dans l’idée que pour changer le destin d’un individu, il fallait lui offrir d’autres horizons. 
L’investissement du photoreporter iranien, Reza, auprès de 50 jeunes de ce quartier de la Reynerie, dans un stage d’initiation à la photographie, a participé à ce même élan. « Je veux créer des ouvertures, voire des vocations » expliquait-il l’année d'avant lors de son exposition sur les quais de la Garonne.
Cette semaine, je me suis retrouvée incidemment près de ce collège. J'ai souri ; j'y ai découvert une affiche de recrutement pour la Marine nationale...




























 « Opération extérieure », selon l’abréviation militaire.
 Blackboard Jungle (1955) avec Glenn Ford dans le rôle principal de l’enseignant.



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