Féminisation banalisée et émergence de réseaux féminins d’influence pour les armées.
32 600 femmes
militaires et 24 200 civiles font désormais de l’armée française l’une des
plus féminisées au monde. Cette journée du 8 mars 2016 a lancé un défi de
taille pour leur ministère régalien : s’inscrire d’ici 2030 dans la
parité (1). Pari presque gagné puisqu’elles représentent 40 % des effectifs. Cependant,
même si les objectifs de recrutement et de gestion humaine relèvent de communications
différentes pour le ministère de la Défense, promouvoir des femmes à des postes
de responsabilités reste un exercice délicat à traiter. L’utilisation
stratégique des réseaux sociaux comme nouveau vecteur de communication offre à
cette institution l’opportunité de maîtriser sa transformation structurelle et
celle des valeurs de citoyenneté auprès des femmes.
Source : Institut Montaigne, 2014
& ©DR
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Jusqu’à présent, du côté des armées, la féminisation mettait en exergue des dichotomies entre communication interne et externe, notamment sur le décalage existant entre la réalité du statut militaire et la représentation qu’elles en donnaient.
Il y a 20 ans, un
cadre de la communication de la Marine, note interne et bilan d’opinion en
mains, n’hésitait pas à convaincre ses futures recrues féminines de se faire
couper les cheveux, au prétexte de correspondre à la représentation physique
que les Français avaient d’une officier de Marine. En 1995, le grand public
avait été touché par le capitaine de frégate Myriam Sochacki (2) porte-parole de
la mission Forpronu, des Nations Unies à Sarajevo, puis de la mission IFOR de
l’OTAN. Après avoir été propulsée sous les feux des projecteurs et avoir rendu
service à l’image française de la Défense en OPEX, il lui fût reproché au sein
de son armée d’appartenance d’avoir été « zinguée » plus rapidement
que ses petits camarades masculins.
© Source
: Ministère des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes,
www.familles-enfance-droitsdesfemmes.gouv.fr | Publié le 28 janvier 2014
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Depuis cette époque
de l'annonce de la professionnalisation des armées et de la fin des quotas de
recrutement, la Défense est passée de 7,5 % à 15 % de femmes
militaires.
Clin d’œil
symbolique du chemin parcouru, le trombinoscope géant de ces représentantes qui
trônait sur le palier de l’escalier d’accueil du SIRPA Central a
progressivement glissé sur un mur porteur d’un étage supérieur. Honni,
soit qui mal y pense, l’anecdote prouve que la Défense est passée
d’une image de séduction(3) à une banalisation du phénomène de féminisation. Ce
changement de mentalité n’est pas uniquement lié « à une question de
mode ou d’affichage politique » comme se prête à le souligner le
ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian (4).
En réalité, la
professionnalisation et la réorganisation des services de communication de la
Défense, en combinant « civilianisation » et féminisation, ont
favorisé la protection et l’intégration progressive de l’image féminine au sein
de l’institution. Au-delà des signes forts(5) qui ont été donnés depuis 2012 par
le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, la banalisation de leur
recrutement permet désormais aux femmes de la Défense de ne plus être autant
médiatisées que les grandes pionnières lorsqu’elles accèdent à des postes de
responsabilités. Rappels historiques, constats sur les avancées
administratives, témoignages intergénérationnels, interarmées et statutaires,
érigent désormais le sujet en un marronnier. Cette année, « aucun
reportage présentant le parcours d’une pilote de Rafale dans les médias
français », s’étonne un collectif d’anciens militaires. Il confirme
que « les rédacteurs en chef des différents journaux TV auraient décidé
de manière collégiale que le sujet avait déjà été plusieurs fois abordé au
cours des 15 dernières années, sous à peu près tous les angles, et dans
quasiment tous les formats et même toutes les langues ». Et de
conclure : « une révolution pour le traitement de cette
problématique au sein des armées » (6).
Notons ainsi au
passage que les articles de dossiers de presse sur les femmes publiés par la
Défense à l’occasion du 8 mars sont pour l’essentiel signés… par des femmes.
Cherchez le Pygmalion ou le censeur derrière le choix et la validation des
articles ; vous comprendrez ainsi toute la complexité du challenge de la parité
dans la promotion aux postes de décideurs ou de responsabilités.
« La femme
est l’avenir de l’homme »(7): la « passerelle » garante
d’une nouvelle image de la Défense.
« La femme
est l’avenir de l’homme. Elle est la couleur de son âme ». Bien
souvent tronquée, la deuxième partie de cette citation d’Aragon mériterait
d’être portée en étendard par les communicants (es) de la Défense. Au-delà de
constituer un simple élément de langage, elle garantit une véritable cible
stratégique pour les quinze années à venir, tant pour la communication interne
auprès du personnel féminin qu’auprès du grand public.
Pour Céline
Bryon-Portet(8), chercheur en sciences de l’information et de la communication
« le personnel militaire constitue un relais essentiel, propre à
consolider le lien nation-défense. Nul mieux que lui, donc, ne peut témoigner
de son expérience, et valoriser l’institution qu’il sert ».
Sous contrat ou de
carrière, des JDC, les femmes approchant ou appartenant à la Défense ont un
rôle de prescriptrices. « Femmes-passerelles » pour reprendre une
expression chère à Pierre Servent(9), elles ont témoigné depuis des siècles
qu’elles sont capables de participer « à l’effort de guerre dans le
champ des idées, des comportements et des valeurs ».
Aucune raison à
priori que les femmes militaires ou civiles de la Défense échappent aux
évolutions de la société. En France, les foyers monoparentaux sont en pleine
expansion (1,5 million en 2011 soit 20 % des familles actuelles et 2,5
fois plus qu’en 1968) et concernent majoritairement des mères célibataires
(85 % source Insee 3 mars 2015). De plus, les mères ont tendance à « aider
bien plus souvent leurs enfants que les pères. Elles consacrent en moyenne 14,2
heures mensuelles à aider chacun de leurs enfants (à l’âge de l’enseignement
élémentaire) contre 5,6 heures pour les pères ». Par ailleurs, « 54,5 %
des mères participent seules aux rencontres parents-professeurs contre
8,6 % des pères ».
Les générations de
femmes nées entre 1960 et 1980 constituent une cible à laquelle les armées
devraient être attentives dans le soutien d’actions en réseaux. Mères comptant
particulièrement dans l’éducation des enfants qui constitueront les rangs des
militaires de 2030, elles font partie de la « génération du baby
bust » dont les valeurs correspondent à celles véhiculées par la Défense.
« Loyauté, sens de l’autorité & de la hiérarchie, esprit de
compétition, organisation » les caractérisent (10).
Pour imposer
rigueur et discipline, les mères de recrues du Service militaire adapté ont
prouvé leur autorité naturelle auprès de leur rejeton. Elles restent de fidèles
alliées pour les cadres, recruteurs et instructeurs, de leurs enfants.
Outre le rôle des
mères dans la transmission et le suivi des valeurs éducatives, les filles nées
après 1995 (la génération Z) constituent également des cibles solides. Elles
devraient venir consolider les rangs de la Défense et assurer son rayonnement
auprès de la génération Alpha, sa cadette. A vingt ans, elles ont « le
sens des valeurs (…) sont multiidentitaires, débrouillardes et connectées »
(cf.source ci-dessus). Des spécificités partagées par les garçons de leur âge,
également relevées par Pierre Servent pour défendre le service civique :
« La nouvelle génération n’a plus les préjugés de ses anciens. Ils sont
même plutôt demandeurs s’il a du sens et du contenu ».
« Soyez le
changement que vous voulez voir dans le monde »(11): un RSE pour les
femmes de la Défense pour promouvoir les compétences.
La Défense prend
conscience des évolutions de la société. Elle s’intéresse conjointement au
vivier de compétences que les femmes constituent en interne pour l’accès aux
postes de décisions. Phénomène de causalité, le ministre de la Défense invite
les femmes militaires et civiles de l’institution à se constituer en une
« communauté active d’échanges qui devienne un lieu de partage et de
rénovation ». L’idée n’a jamais été aussi officiellement soutenue.
Pourtant, point de
nouveauté ! Un réseau de femmes officiers existe déjà depuis plus de vingt ans.
Sous forme d’amicale, celui-ci offre des échanges féminins sur des questions
concrètes de statut, d’équilibre de vie entre missions et famille, de
formation, de reconversion, etc. Il contribue à des retours d’informations et
des évolutions internes. Ce n’est pas sans fierté en 2000 que les représentantes
de ce réseau ont, entre autres, obtenu gain de cause pour permettre aux
conjoints veufs de femmes militaires décédées de bénéficier d’une pension de
réversion. Le prolongement du devoir de protection inversé n’avait jusqu’alors
jamais été pris en considération.
Hormis ce réseau
professionnel, il existe déjà de nombreuses associations périphériques qui
participent aux élans de fraternité et de soutien aux femmes, mais aucune n’a
de vocations exclusivement professionnelles pour leur assurer « prestige
et pouvoir ».
Source : Etude LinkedIn "Le succès professionnel, les réseaux sociaux et les femmes" menée auprès de 1500 femmes. |
Action de femme,
Actionelles, Cercle InterElles, Club HRM Women, Elles bougent, Grandes écoles
au féminin (GEF), Elles bougent, Women's Forum for the Economy and Society, Femmes de Bretagne... La liste s’allonge en matière de
communautés féminines disponibles sur les réseaux sociaux numériques (RSN).
Les entreprises
profitent de cette émulation pour favoriser l’émergence des réseaux sociaux
d’entreprise (RSE) en tant que médias sociaux et outils collaboratifs.
©Hiscox eDNA 2015 / Institut CSA KPMG 2015 / Bureau avenue /Ruby Media /
Compass / Les Essenti'elles BPCE / Girls in Tech Paris.
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- « Franchissons le pas pour l'égalité des sexes » est le projet fixé par l’Organisation des Nations Unies à l’occasion la Journée internationale de la femme cette année. Indépendamment de ce projet, la loi "Sauvadet" de 2012, en France, oblige les entreprises publiques à ouvrir les postes de cadres dirigeants à 40% de femmes d'ici 2017.
- Biographie et aussi https://youtu.be/joBQ7p9wsB8
- Céline Bryon-Portet, « Quand la Grande Muette communique : exemple d’une conduite de changement », Communication et organisation, 28 I 2006, pages 138-149.
- Au sujet de la « promotion des femmes étoilées », à l’occasion de la table ronde « Des femmes engagées au service de la défense de notre pays », le 5 mars 2015.
- Il précisait sur la féminisation le 5 mars 2015 « si mon passage pouvait être marqué de cette pierre-là, j’en serais extrêmement fier. (…) Je veux souligner, ici combien la promotion de femmes étoilées n’est pas, une question de mode ou d’affichage politique. »
- bureauinfosdefense.tumblr.com, le 07/03/2016
- Extrait du Le Fou d’Elsa (1975).
- Page 298 de son ouvrage « Extension du domaine de la guerre », édition Robert Laffont, janvier 2016.
- Éducation & formations n° 80 décembre 2011: publication de l’étude « l’école en France et en Europe » de Nadine Dalsheimer-Van Der Tol & Fabrice Murat http://media.education.gouv.fr/file/revue_80/31/6/Depp-EetF-2011-80-parents-ecole-france-europe_203316.pdf
- Enquête menée par le Boson Project pour BNP Paribas.
- Mahatma Gandhi
- Etude menée auprès des plus de 16 ans sur le territoire national : 30 % pour les femmes contre 35 %pour les hommes. (Sources Insee 2014)
- « Les femmes utilisent plus régulièrement les réseaux sociaux que les hommes, elles sont 30 % à les utiliser plusieurs fois par jour contre 26 % chez les hommes », article « Les femmes dominent les réseaux sociaux », Journaldugeek.com, 20 juillet 2014
- Sylvia Di Pasquale, rédactrice en chef de cadremploi.fr, article du 03 mars 200315. Loi obligeant de négocier sur la thématique de l’égalité professionnelle.
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